Le prix Nobel de la Paix, Dr Denis Mukwege, a vivement critiqué l’accord de paix signé le 27 juin 2025 entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda. Lors d’un discours prononcé à Wolubilis, en Belgique, il a dénoncé un texte opaque, non inclusif, légitimant l’occupation, le pillage des ressources congolaises et sacrifiant la justice au profit d’une paix illusoire.
Alors que l’accord signé à Washington sous l’égide des États-Unis se présente comme une avancée vers la fin des hostilités entre les deux pays, le Dr Mukwege alerte : « cet accord n’augure pas d’une sortie de crise pour notre population qui souffre ». Selon lui, les termes de l’accord consacrent « l’abandon de la souveraineté congolaise » et inscrivent le conflit dans une continuité tragique, loin d’en amorcer la fin.
Une paix « à n’importe quel prix » ? Non, prévient Mukwege
S’il reconnaît la nécessité de mettre fin aux violences et aux souffrances au Nord et au Sud-Kivu, Mukwege estime que la paix ne peut être construite sur le déni de justice, ni sur le silence face à l’agresseur. Il reproche notamment à l’accord signé de ne pas désigner explicitement le Rwanda comme pays agresseur, alors même que « des preuves accablantes » documentent son soutien au M23.
Il critique aussi le mécanisme de sécurité conjointe RDC-Rwanda, qui, sous couvert de neutralisation des FDLR, permet à l’armée rwandaise de continuer d’opérer sur le territoire congolais, « avec l’aval du gouvernement ». Un recul grave, selon lui, par rapport à la résolution 2773 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui exigeait un retrait immédiat et inconditionnel des forces étrangères.
Un modèle de négociation opaque et dangereux
Le médecin congolais déplore le manque de transparence dans les pourparlers, tenus au Qatar, et juge « non crédibles » les processus décidés sans la participation du peuple congolais. Il accuse les négociateurs d’avoir cédé à une logique étrangère aux intérêts nationaux, dictée par des enjeux économiques et géostratégiques mondiaux.
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Plus encore, l’accord serait une réplique des arrangements passés – Sun City, Kampala, Lusaka – qui ont tous échoué, selon Mukwege, car ils ont privilégié des solutions de court terme au détriment de la justice. « À la fin, la population n’a obtenu ni la paix ni la justice », rappelle-t-il.
La cogestion des minerais : un nouveau pillage légalisé ?
Mukwege s’insurge contre les dispositions de l’accord qui prévoient une « intégration économique régionale » et une cogestion des ressources minières avec le Rwanda, qualifié d’« État agresseur-pilleur ». À ses yeux, cette orientation économique consacre une nouvelle forme d’extractivisme néocolonial, dans laquelle les minerais congolais seraient exportés à l’état brut vers le Rwanda, transformés sur place, et revendus sur le marché mondial, au détriment du développement du Congo.
Dans un avertissement solennel, Mukwege appelle au respect de la Constitution congolaise. Il rappelle que tout accord international impactant la souveraineté ou les ressources naturelles doit être approuvé par l’Assemblée nationale, faute de quoi, il serait assimilable à un acte de trahison.
Et si les autorités ne respectent ni la loi fondamentale ni le droit international, le Dr Mukwege évoque clairement une issue : « une véritable révolution démocratique pour exiger de recouvrer notre souveraineté ».
Pour une solution régionale et multilatérale
Le Nobel de la Paix rejette l’approche bilatérale promue par Washington, qu’il juge inadaptée à un conflit à ramifications régionales impliquant le Burundi, l’Ouganda et d’autres acteurs. Il appelle à revitaliser l’Accord-cadre d’Addis-Abeba (2013) et à convoquer une conférence internationale de haut niveau, sous la facilitation de l’Union Européenne et des pays garants, comme la Belgique, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis.
Clôturant son discours, Mukwege invite les Congolais à se lever pour défendre leur dignité, leur souveraineté et leur avenir. « Le chemin de la paix est possible », conclut-il, « mais il ne pourra se construire sans justice, sans vérité, ni sans courage politique ».