À 25 ans, il est à la fois dessinateur, peintre, journaliste et directeur d’un centre artistique. Né à Bukavu, Émile Centwali appartient à cette nouvelle génération d’artistes congolais qui font de la création visuelle une arme douce contre l’oubli, l’injustice et la violence. Portrait.
Sur ses toiles, les figures s’esquissent, se dédoublent, se transforment. Entre abstraction et surgissement symbolique, les œuvres d’Émile Centwali ne se contentent pas de représenter : elles interrogent, déplacent, transforment le regard. À Bukavu, au cœur du Sud-Kivu, cet artiste de 25 ans bouscule les codes d’un art encore trop souvent marginalisé pour en faire un levier de dialogue, de mémoire et de cohésion sociale.
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Né le 16 mai 2000 à Bukavu, Émile grandit avec un crayon à la main. « Depuis l’école primaire, j’ai toujours eu ce besoin de dessiner », confie-t-il. Ce besoin, d’abord perçu comme une distraction par ses enseignants – qui n’hésitent pas à le sanctionner pour son manque d’attention en classe –, devient très vite une vocation. Dès la deuxième année du secondaire, ses talents éclatent lors de concours scolaires et interscolaires qu’il remporte à plusieurs reprises. Encouragé par ces premières reconnaissances, il ne cessera plus de dessiner, peindre et expérimenter.
Mais rien n’a été simple. Émile se heurte aux difficultés classiques des artistes congolais : manque de matériel, absence d’espaces d’exposition, rareté de l’accompagnement professionnel. Il apprend à se débrouiller seul, autofinance ses outils, forge sa méthode. « J’ai rencontré beaucoup d’obstacles. Mais j’ai continué, convaincu que l’art visuel demeure le moyen le plus sûr pour exprimer et transmettre un message », témoigne-t-il.

Conviction renforcée par sa formation universitaire : en 2024, il obtient son diplôme en journalisme et politique extérieure à l’Université Officielle de Bukavu. Loin d’opposer ses deux passions, il les articule dans une même démarche : raconter le monde par l’image et par la parole. Sa formation en sciences de l’information nourrit son regard critique, tandis que ses collaborations avec des artistes comme Nina de Angelis (École des Beaux-Arts de Nantes) enrichissent sa technique.
Au fil des ans, Émile Centwali construit un langage plastique singulier. Ses œuvres ne racontent pas, elles suggèrent. Elles ouvrent des mondes plutôt qu’elles n’enferment dans une narration. Entre mimésis et apparition, ses compositions cherchent à rendre visible ce qui échappe au regard quotidien. Cette esthétique, il la met au service d’une mission : éveiller les consciences.
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C’est dans cet esprit qu’il fonde le Cosmos Center, une fondation artistique qu’il dirige depuis Bukavu. L’objectif est clair : démocratiser l’art en République Démocratique du Congo, sensibiliser par la création, offrir aux jeunes et aux enfants des espaces d’expression et d’éveil artistique. À travers des ateliers de peinture, de bande dessinée, de papier mâché ou de sérigraphie, il forme des orphelins, des enfants de la rue, des victimes de guerre, comme au centre CROFEM, où il intervient régulièrement.
Ses expositions personnelles – Kahuli (2019), Libertas Loquendi (2020) – mais aussi ses projets collectifs – Mon langage (2023), Festival de la paix et Noël pour enfants (2024) – témoignent de la reconnaissance croissante dont il bénéficie dans le milieu artistique régional. Il est lauréat des Bagira Best Awards et participe à des résidences comme Richesse des poubelles (2024), où il explore le lien entre art et écologie.
Mais pour Émile Centwali, l’essentiel reste ailleurs : dans le lien entre art et société, dans la possibilité d’utiliser le trait pour tisser du sens et du lien. Ses projets – Jeunesse engagée dans l’art comme vecteur de la paix (2021), Festival de l’Éducation Wote (2024) – font de lui une figure de proue de l’éducation populaire par l’art dans la région des Grands Lacs.
« Mon art est un espace de dialogue. Il ne s’agit pas seulement de représenter, mais de transformer. »
À travers chaque toile, chaque atelier, chaque exposition, Émile Centwali construit des mondes là où d’autres voient du chaos. Il dessine non seulement des formes, mais des trajectoires d’émancipation. Et surtout, il prouve que dans un pays souvent meurtri, la beauté reste une forme de résistance.