Après des décennies d’impunité, le Rwanda pourrait connaître un tournant majeur dans la lutte contre la torture en détention. En avril 2024, un procès historique a abouti à la condamnation de six fonctionnaires pénitentiaires pour meurtre et torture, mettant en lumière les abus systématiques dont ont souffert les détenus.
Un rapport de Human Rights Watch révèle que ces mauvais traitements se sont produits dans plusieurs établissements, y compris les prisons de Nyarugenge et Rubavu, ainsi que dans le centre de détention non officiel « Kwa Gacinya ». Les témoignages d’anciens détenus décrivent des actes inhumains tels que des passages à tabac, des simulacres d’exécution et des tortures psychologiques.
« Ce procès constitue un premier pas crucial vers l’obligation de rendre des comptes », déclare Clémentine de Montjoye, chercheuse senior à Human Rights Watch. Cependant, elle note que la justice reste partielle, certains responsables ayant été acquittés malgré des preuves accablantes.
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« Nos recherches montrent que des fonctionnaires pénitentiaires ont été autorisés à torturer des détenus en toute impunité pendant des années, soulignant les failles des institutions rwandaises chargées de protéger les droits des détenus », a déclaré Clémentine de Montjoye.
Ce procès met également en évidence les lacunes du système judiciaire rwandais et de la Commission nationale des droits de la personne, souvent critiquée pour son manque d’indépendance.
Les autorités rwandaises ont fréquemment entravé le travail des institutions de surveillance des droits humains, allant jusqu’à refuser l’accès au pays à des chercheurs internationaux.
Entre 2019 et 2024, Human Rights Watch dit avoir mené des entretiens avec plus de 28 personnes, dont 13 anciens détenus qui étaient incarcérés dans des lieux de détention non officiels et dans les prisons de Rubavu et de Nyarugenge au Rwanda entre 2017 et 2024.
Human Rights Watch a aussi examiné des interviews sur YouTube d’anciens prisonniers qui ont décrit avoir été torturés en détention, et a étudié les documents judiciaires liés aux procès de 53 personnes. Certains ont témoigné lors du procès de l’ancien directeur des prisons de Nyarugenge et de Rubavu, Innocent Kayumba, et de 17 autres personnes accusées de torture, de coups et blessures volontaires, de meurtre et d’autres délits.
D’anciens détenus ont décrit à Human Rights Watch le calvaire vécu par les prisonniers dans un site appelé « Yordani » qui existait dans les deux prisons, où des détenus étaient submergés de force dans un conteneur rempli d’eau sale et battus.
Certains ont ajouté que des détenus ont ensuite été forcés de courir pieds nus dans la cour jusqu’à ce qu’ils s’effondrent.
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Face à ces révélations, Human Rights Watch appelle le gouvernement à mener une enquête exhaustive sur la torture dans ses prisons, en sollicitant l’assistance d’experts de la Commission africaine des droits de l’homme et des Nations Unies pour garantir la transparence et l’intégrité de ce processus.
Alors que le Rwanda cherche à respecter ses engagements en matière de droits humains, la communauté internationale, y compris l’Union européenne, est invitée à intensifier ses efforts pour que tous les responsables de ces abus soient traduits en justice.
Si ce procès marque un espoir pour les victimes, il reste à voir si des réformes significatives suivront. Les yeux du monde sont désormais tournés vers Kigali, où l’avenir de la lutte contre la torture dépendra de l’engagement réel du gouvernement à changer les choses.